En Algérie, l'Agence Nationale pour l'Amélioration et le Développement du Logement (AADL) a récemment lancé le programme très attendu AADL 3, destiné à fournir des logements à la population en location-vente. Le lancement officiel des inscriptions a eu lieu le 5 juillet 2024, coïncidant avec la célébration de l'indépendance de l'Algérie, une date symbolique choisie pour marquer cette initiative majeure.
Les inscriptions pour AADL 3 se font exclusivement en ligne via une plateforme numérique, une innovation qui vise à simplifier et moderniser le processus. Les candidats doivent fournir leur numéro d’identification national et leur numéro de sécurité sociale, éliminant ainsi la nécessité de documents physiques.
Cependant, malgré ces efforts de digitalisation, le lancement a été un fiasco total. La quasi-majorité des citoyens ont signalé des problèmes d'accès au site web de l'AADL, et peu d'entre eux ont réussi à finaliser leur inscription. Le ministre de l’Habitat, Tarek Belaribi, a reconnu ces problèmes techniques et a assuré que des mesures correctives seraient mises en place pour améliorer la situation.
L'expérience récente des inscriptions pour le programme AADL 3 en Algérie soulève une question cruciale : un site web algérien, tel que celui de l'AADL, peut-il réellement scaler pour gérer une demande massive ? La réponse, malheureusement, semble être négative.
Le principal obstacle à l'évolutivité d'un site comme celui de l'AADL réside dans la politique de souveraineté numérique de l'Algérie. Les autorités algériennes sont réticentes à utiliser des solutions cloud étrangères comme Amazon Elastic Compute Cloud (EC2) en raison de la protection des données personnelles des citoyens. Elles craignent de stocker les informations sensibles de millions d'Algériens, notamment leurs informations personnelles et financières, chez des prestataires américains.
Cette prudence est compréhensible. La protection de la vie privée et des données est un enjeu crucial dans un monde de plus en plus digitalisé. Cependant, cette méfiance crée un paradoxe étonnant. Alors que les autorités algériennes refusent de confier les données à des solutions cloud américaines, les informations privées des citoyens algériens, y compris leurs photos et conversations privées, sont déjà massivement stockées sur des plateformes américaines comme Facebook et Google.
Le choix d'héberger le site de l'AADL dans des data-centers locaux, alimentés par une bande passante limitée, ajoute une couche de complexité. Les infrastructures algériennes actuelles ne sont tout simplement pas conçues pour gérer des pics de trafic importants. La bande passante limitée entraîne des ralentissements, des temps de réponse élevés, et dans certains cas, des plantages complets du site.
Lors du lancement des inscriptions AADL 3, ces limitations ont été flagrantes. Les utilisateurs ont été confrontés à des difficultés d'accès, des pages non chargées et une incapacité à finaliser leurs inscriptions. Ces problèmes sont symptomatiques d'une infrastructure qui n'est pas capable de scaler pour répondre à une demande massive.
Même si la bande passante et les data-centers algériens étaient de classe mondiale, l'absence de technologies cloud locales pose un problème majeur. Les solutions de cloud computing algériennes sont quasi inexistantes, et le manque présumé de maîtrise des technologies DevOps modernes chez les ingénieurs de l’AADL complique encore la tâche. Outre Kubernetes, des outils essentiels comme Docker pour la containerisation, Jenkins pour l'intégration continue et le déploiement continu (CI/CD), Terraform pour l'infrastructure en tant que code, et Prometheus pour la surveillance et l'alerte, sont cruciaux pour la gestion efficace et la scalabilité des infrastructures.
Sans une expertise solide dans ces technologies, il est difficile pour les équipes locales de gérer des infrastructures complexes. L'absence de solutions de gestion et de déploiement automatisées, essentielles pour maintenir des services en ligne résilients et évolutifs, rend la tâche encore plus ardue. Ainsi, même avec des infrastructures matérielles de haute qualité, le manque de technologies cloud avancées et de compétences DevOps représente un obstacle significatif à la performance et à la fiabilité du site de l'AADL.
Au-delà des défis techniques et politiques, il existe une question cruciale d'ordre financier. Une administration comme l'AADL peut-elle raisonnablement supporter les coûts d'un autoscaling de cette intensité ? La réponse semble être non.
Les solutions cloud comme AWS (Amazon Web Services) ne sont pas présentes en Algérie, ce qui implique que les paiements pour ces services doivent être effectués en devises étrangères. Étant donné les lourdeurs administratives et la politique monétaire stricte de l'Algérie, qui limite les transactions en devises étrangères, le financement d'une telle opération serait extrêmement difficile.
Les coûts récurrents et élevés d'un autoscaling basé sur des solutions cloud internationales sont incompatibles avec les capacités budgétaires et les procédures financières des administrations algériennes. Les contraintes monétaires rendent ces solutions non viables à long terme pour des initiatives comme l'AADL.
Pour pallier ces défis, imaginons une architecture idéale pour un site comme celui de l'AADL, conçue pour être scalable, efficace et sécurisée.
Microservices et API
Plutôt que de construire une application monolithique, la solution pourrait être architecturée en microservices. Chaque fonctionnalité du site (inscription, gestion des utilisateurs, notifications) serait un service indépendant, communiquant via des API. Cela permettrait une meilleure gestion des charges et une scalabilité granulaire.
Hébergement sur Amazon ECS
Amazon Elastic Container Service (ECS) pourrait être utilisé pour orchestrer les conteneurs des microservices. ECS permet de gérer et de scaler les conteneurs automatiquement, en fonction de la demande. Chaque microservice pourrait être empaqueté dans un conteneur Docker, permettant une portabilité et une isolation des services.
Base de Données Distribuée
Pour la gestion des données, une base de données distribuée comme Amazon DynamoDB pourrait être utilisée. DynamoDB offre une scalabilité automatique et une haute disponibilité, essentielle pour un site à fort trafic comme celui de l'AADL. Les données des utilisateurs, les informations d'inscription et autres métadonnées seraient stockées de manière distribuée, réduisant les risques de goulots d'étranglement.
Sécurité et Conformité
La sécurité des données peut être assurée par des services de chiffrement et de gestion des clés comme AWS Key Management Service (KMS). De plus, des configurations de pare-feu et des contrôles d'accès stricts seraient mis en place pour protéger les données sensibles.
Réseau de Distribution de Contenu (CDN)
Pour améliorer les temps de chargement et réduire la latence, un réseau de distribution de contenu (CDN) comme Amazon CloudFront pourrait être utilisé. Les ressources statiques du site (images, fichiers CSS/JS) seraient distribuées à travers le monde, assurant un accès rapide aux utilisateurs, peu importe leur localisation.
Pour que l'AADL et d'autres initiatives similaires réussissent, il est impératif que l'Algérie repense son approche de l'hébergement et de la gestion des données. Adopter des solutions cloud tout en garantissant la souveraineté des données via des accords spécifiques pourrait être une voie à explorer. Par exemple, des solutions cloud régionales, opérées par des entreprises locales mais utilisant la technologie de pointe des géants du cloud, pourraient offrir un compromis acceptable.
En conclusion, tant que les infrastructures locales ne seront pas améliorées et que les réticences à utiliser des solutions cloud efficaces persisteront, les initiatives comme l'AADL 3 continueront de rencontrer des obstacles techniques. Pour le bien des citoyens et de l'efficacité administrative, une modernisation et une ouverture prudente aux technologies globales sont nécessaires.
Ajouté par: Leititia Benmalek le ٠٦ يوليو ٢٠٢٤
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